Philosophie et sociologie : le prix du passage
Les sociologues ont au moins trois manières différentes de se rapporter à la philosophie. La première peut être appelée démarcationnisme : elle prône le maintien d’une stricte étanchéité entre les deux disciplines, au nom de l’incompatibilité de leurs épistémologies respectives. La deuxième est l’intégrationnisme : elle présuppose qu’il n’existe pas de véritable solution de continuité entre philosophie et sociologie et qu’il est justifié, par conséquent, d’unifier en un seul discours leurs apports. Une troisième position, enfin, peut être nommée conversionnisme : elle consiste à n’autoriser l’emprunt sociologique de concepts et de schèmes de raisonnement philosophiques qu’à la condition expresse d’en payer le prix, c’est-à-dire de faire l’effort de les retraduire dans la logique de l’enquête sociologique. Cet article défend l’idée que l’attitude la plus conforme à la vocation de la sociologie est le conversionnisme. Trois exemples sont examinés : l’apport possible de la philosophie de Wittgenstein à l’analyse sociologique de la normativité ; l’apport possible de la philosophie de Leibniz à l’analyse sociologique de la réflexivité des acteurs sociaux ; l’apport possible de la philosophie pragmatiste à l’analyse sociologique des dispositions.
Nous avons demandé à Sylvie Mesure, à la fois philosophe et sociologue, de rédiger un commentaire de l’article de Cyril Lemieux pour susciter le débat conformément à l’esprit de notre rubrique. Si Sylvie Mesure est membre du comité de rédaction de la revue Sociologie, ce commentaire n’engage bien évidemment que son auteur.
Mots-clés
- philosophie
- conversionnisme
- normativité
- réflexivité
- dispositions
- pragmatisme
- Bourdieu